avant-portrait

"Si l’on est d’un pays, on l’a dans les yeux, la peau, les mains." Les maux et les mots. Gaël Faye a beau avoir quitté son Burundi natal, il continue à le porter en lui. Sa trajectoire est faite de ruptures. Certaines sont volontaires, d’autres non. Un master en finance le conduit à la City à Londres, où il saisit sa chance dans la musique. Auteur-compositeur-interprète, il est un pilier du groupe Milk Coffee and Sugar. Puis, il navigue en solo, entre le hip-hop, le slam et le rap.

Ses chansons racontent déjà des bribes d’une enfance blessée. Cette fois, le trentenaire se fraye un chemin dans le romanesque. "Il me fallait dépasser des peurs et des blocages vis-à-vis de LA littérature", dit-il. Il découvre la lecture à 13 ans, lors de son exil difficile à Paris. Les livres deviennent "ses amis imaginaires. L’écriture m’a sauvé, elle m’a aidé à supporter le monde." Celui qui l’entoure et celui qu’il a en lui. "Mon premier roman fait ressortir des choses enfouies. Comment dénouer les nœuds d’une histoire douloureuse ? La mienne m’a fait grandir plus tôt. Certains restent empêtrés dans leur passé, mais j’ai une baguette magique : un stylo."

Ses souvenirs le convainquent "qu’on doit se définir soi-même, sinon on est ballotté au gré des contextes politiques et sociaux." Or tout comme son héros, Gaël Faye doit jongler avec une identité métissée. Un père blanc français, une mère noire rwandaise. "Qu’est-ce qui les lie et les sépare ?" Une question encore plus épineuse lorsqu’elle s’inscrit à une époque opposant Tutsis et Hutus.

Le petit Gabriel vit au Burundi, dans une bulle préservée de l’horreur annoncée. Son regard candide est dénué de préjugés. Pour l’heure, il est embué par le divorce de ses parents. Sa mère quitte le foyer pour rejoindre sa terre natale, le Rwanda. L’enfant s’accroche à sa bande de copains. Ils ignorent qu’ils vont se heurter à une impasse qui les dépasse : une guerre génocidaire basée sur des distinctions ethniques. "Nous sommes tous humains, or brusquement on semble coupable d’être né, d’être tout simplement." Une réalité qui rattrape Gabriel et ses amis, au Burundi. "Impossible de rester neutre, ce serait une forme de lâcheté, or la responsabilité exige du courage et de l’engagement." Gaël Faye ne juge pas ceux qui ont commis le pire car il tend "au pardon, à la réconciliation et à la transmission".

Société post-ethnique

Aujourd’hui, il vit à Kigali. "La nouvelle génération rwandaise aspire à une société post-ethnique, tout en commémorant le géno-cide. Quelle est sa place dans les relations politiques et intimes modernes ? Les gens sont traumatisés, mais ils se sont relevés parce que la vie a repris ses droits." C’est elle qui anime ce premier roman rythmé par la douceur, la violence, l’humour ou la peur. Gabriel évolue tel un petit Poucet, chassé des sentiers de l’enfance. Il doit avancer malgré ses "rêves froissés". "Le mien consiste à offrir un monde meilleur à mes enfants", affirme Gaël Faye. Kerenn Elkaïm

Gaël Faye, Petit pays, Grasset. Prix : 17 euros, 224 p. Sortie : 24 août. ISBN : 978-2-246-85733-4

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