avant-portrait > Baptiste Monsaingeon

Avant de partir, je n’étais pas militant." Avant 2009, Baptiste Monsaingeon se cherche sans vraiment se trouver. Après une prépa en lettres, il était taillé pour Normale sup. Faute de place, il bifurque vers la philosophie, à la Sorbonne, jusqu’à la licence, jusqu’à ce que l’ennui s’installe. Après un master de médiation culturelle, il devient pendant trois ans le coordinateur de l’opération "Nuit blanche", une manifestation culturelle organisée chaque année par la Ville de Paris. Mais le jeune homme trouve qu’on parle plus d’argent que d’art. Ce manque de matière à penser le ramène vers la philosophie et une première année de master en psychanalyse où il étudie le jeu de mots chez Lacan. "Ma mère est psychanalyste…" Il glisse cela discrètement, mais on comprend mieux. Avec Lacan, il découvre une autre fonction du jeu de mots, comme un rebus de langage. On approche. Du rebus au détritus, il n’y a qu’un geste. En fait, ce sera une rencontre qui viendra sceller cet intérêt pour le déchet. Avec un ami, il part en octobre 2009 de Belle-Île-en-Mer pour un grand voyage atlantique afin de repérer les monceaux de plastique qui couvrent l’océan. Pendant neuf mois, il engrange des informations, multiplie les contacts, du cap Vert à Tobago. "De cette expérience, j’ai tiré le sujet de ma thèse, et de cette thèse cet essai sur l’Homo detritus."

Regarder les déchets

Du travail académique, classé en sociologie parce qu’on ne voyait pas où le situer tant il multiplie les approches philosophique, historique, anthropologique, psychanalytique et scientifique, il n’a conservé que la nervosité. "J’ai voulu ouvrir un débat sur le déchet, mettre un peu de critique sur le consensus. L’industrie a modifié notre rapport au monde matériel en inventant le déchet et en le présentant comme le carburant de la croissance." Il a constaté lors de son périple que le prêt-à-jeter n’était pas un indicateur économique. Mais peut-on faire un monde sans faire de restes ? Le philosophe François Dagognet s’était posé la question à la fin des années 1990. Baptiste Monsaingeon la reprend à sa façon, en multipliant les points de vue, en croisant disciplines et outils. "La poubelle est pleine, le monde étouffe sous nos déchets." Alors que faut-il faire ? Trier, recycler, purifier, nettoyer, dépolluer ? "Oui, mais cela ne suffit pas. Il faudrait moins en produire et surtout cesser de ne plus les regarder. Au XIXe siècle, les chiffonniers avaient ce rôle de travailleurs du déchet. La poubelle a caché ce que nous ne voulions plus voir."

A l’ère du Poubellien supérieur, celui des plastiques, il est temps d’agir. Baptiste Monsaingeon s’inscrit comme d’autres chercheurs dans l’action publique, convaincu que le déchet est aussi un matériau politique. "Il faut sortir le déchet de la décharge pour comprendre qu’il est un fragment signifiant du monde." Autrement dit, obliger chacun à regarder ce qu’il jette. Baptiste Monsaingeon sait maintenant où il va. Il part bientôt à Hanoï où il va s’informer auprès des industriels et des ingénieurs. Pour écrire une histoire du sac plastique. Laurent Lemire

 

Baptiste Monsaingeon, Homo detritus. Critique de la société du déchet, Seuil.
19 euros ; 290 p. Sortie : 4 mai. ISBN : 978-2-02-135260-3

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