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Météorologie du bizarre

Eric McCormack - Photo Mathieu Bourgois/Christian Bourgois Editeur

Météorologie du bizarre

Eric McCormack revient après plus d’une décennie de silence avec un roman gothique plongeant son narrateur dans les méandres de ses origines écossaises et d’une vie d’aventures.

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Par Sean James Rose,
Créé le 08.04.2016 à 01h30 ,
Mis à jour le 08.04.2016 à 14h11

Une de ces averses tropicales, soudaine et diluvienne, s’abat sur Harry Steen. Le narrateur du Nuage d’obsidienne (Christian Bourgois), le nouveau roman d’Eric McCormack qu’on se réjouit de retrouver et qu’on n’avait pas lu depuis L’épouse hollandaise (même éditeur, 2005, repris chez Points), travaille dans l’industrie minière au Canada et se rend à La Verdad au Mexique pour une conférence. Il s’abrite dans une librairie dont l’enseigne en "spanglish", Bookshop de Mexico, augure sans doute des livres écrits dans la langue de Shakespeare. Prêt à quitter la librairie bredouille quand il entend les derniers crépitements de pluie sur l’auvent, voilà qu’il tombe sur un ouvrage à l’odeur de moisi et à l’intrigant intitulé : Le nuage d’obsidienne : Récit d’un événement des plus singuliers, de mémoire d’homme, dans les cieux au-dessus du bourg Duncairn, Comté d’Ayrshire, signé par le Révérend K. Macbane, The Old Ayr Press, Ecosse, 1851. Enseignant au cours de sa jeunesse dans cette bourgade des Uplands, ces hautes régions écossaises, le héros achète le bouquin. Les vieilles pages livrent la description d’un phénomène météorologique des plus curieux : un nuage d’un noir d’une telle densité qu’il reflète comme dans un miroir les êtres et les choses au-dessus desquels il flotte. Le nuage a des effets délétères : "D’après ce qu’[une] mère horrifiée avait rapporté [au Révérend Macbane], [les] yeux [de ses quatre enfants] crevaient, avec de petits bruits mats qu’elle comparait à "la soupe qui bouillonne sur le feu"." L’auteur du Nuage d’obsidienne (le livre dans le livre) relatait des faits qu’il ne tenait que de seconde main. Où est la vérité ? Où est la fiction ?, s’interroge le lecteur qu’est Harry Steen et avec lui le lecteur que nous sommes. Et le héros de se replonger dans les méandres de son passé dans le quartier ouvrier de Tollgate, à Glasgow, avec ses parents qui, de manière précoce, "[lui] enseignèrent l’alphabet et [lui] montrèrent comment, grâce à leurs combinaisons magiques, ces petits signes avaient le pouvoir de créer dans [s]on esprit les images, les individus et les événements les plus captivants qui soient".

Maître du polar métaphysique et de l’intertextualité, l’auteur de Mysterium (même éditeur, 1999) nous entraîne à travers cette nouvelle mise en abyme picaresque vers l’énigmatique passé du narrateur et ses amours déçues à Duncairn jusqu’au présent de la narration en passant par mille péripéties à tonalité gothique (bébés sans tête, mort par exsanguination) sans que ne soit définitivement résolu le mystère de son propre être. Ne pas prendre l’histoire au pied de la lettre : "Les mots se laissent aisément confondre avec la chose véritable", prévient l’un des personnages. Sean J. Rose

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