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A l’occasion de la récente tentative parlementaire, à l’automne 2016, de modifier la loi du 29 juillet 1881, est resurgi le débat sur la possibilité de poursuivre des propos de presse ou d’édition sur le fondement de l’article 1382, mué depuis peu en article 1240 du même code, relatif à la responsabilité civile.
        
Le projet a été repoussé. Et un arrêt de la Cour de cassation, en date du 3 novembre 2016, est venu rappeler que « les abus de la liberté d’expression ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240 du Code civil ».      
        
Notion fondamentale

La responsabilité civile est une notion fondamentale du droit français, qui peut concerner toute activité humaine. L’édition n’y échappe donc pas, à en croire un arrêt récent de la Cour de cassation, même si la jurisprudence semblait modérer son application pour ce qui concerne notamment les livres.
        
L’article 1240 du Code civil est connu pour être la pierre angulaire de ce que les juristes appellent la responsabilité civile. Il dispose en effet que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Et la jurisprudence a souvent eu l’occasion de rappeler que ce texte si général a vocation à s’appliquer, dans une certaine mesure, à l’édition de livres.

Il a été possible, part exemple, de poursuivre sur ce fondement l’éditeur d’un ouvrage relatif aux champignons comestibles, dont une information erronée a entraîné une intoxication alimentaire chez les lecteurs. Il suffit alors de démontrer l’existence de trois éléments : la faute, le préjudice et le lien qui rattache l’une à l’autre.

Le cas de la biographie d'Albert Cohen

Une telle démonstration n’est pas toujours aisée. En témoigne la décision rendue, le 19 avril 1989, par le Tribunal de grande instance de Paris, à propos de la biographie d’Albert Cohen : « si les demanderesses (veuve et fille) se sont plaintes d’un nombre important d’erreurs qu’aurait commises (le biographe) dans son ouvrage, elles ont à ce titre surtout incriminé le fait d’avoir situé de 1927 à 1929 la liaison amoureuse (…) et d’avoir considéré pour l’étude de son thème astral que (le sujet) était né à 4 heures du matin ; qu’elles n’établissent cependant ni que ces dates ou heures sont inexactes, ni en tout état de cause quel préjudice auraient entraîné pour elles les erreurs alléguées ».

La responsabilité civile est aussi fréquemment évoquée lors de procès faits à des historiens. La Cour de cassation s’est notamment prononcée, en 1951, dans une célèbre « affaire Branly contre Turpain » : ce dernier était un scientifique, lié à l'invention de la T.S.F., mais dont le rôle avait été omis dans un ouvrage de librairie. Et cette même juridiction a rappelé, le 15 juin 1994, que « l'auteur d'une œuvre relatant des faits historiques engage sa responsabilité à l'égard des personnes concernées lorsque la présentation des thèses soutenues manifeste, par dénaturation, falsification ou négligence grave, un mépris flagrant de la réalité ».

Prescription

Mais la jurisprudence n’admet presque plus depuis plus d’une quinzaine d’années que l’article 1240 du Code civil soit brandi par ceux qui auraient pu invoquer un autre fondement juridique plus approprié.

Tel est le cas d’un procès intenté à l’éditeur d’un livre diffamatoire, mais pour lequel la prescription de trois mois est acquise. En clair, les procédures trop tardives et autres actions mal engagées ne peuvent être rattrapées par l’intervention miraculeuse de l’article 1240 du Code civil.

Ce palliatif a été beaucoup employé en matière de diffamation envers la mémoire des morts. Il est là nécessaire, en théorie, de prouver que l’imputation litigieuse rejaillit sur l’honneur des héritiers. En pratique, cette preuve étant difficile à rapporter, il était usuel de viser aussi l’article 1382 dans toute assignation.

Diffamation, injure, atteinte à la vie privée et présomption d'innocence

Or, la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 12 mai 2000, a précisé que « le régime général de la responsabilité civile, qu’aucun texte n’exclut en matière de presse ou d’édition, ne peut toutefois trouver à s’appliquer que lorsque la publication litigieuse ne relève pas des dispositions spéciales de la loi du 29 juillet 1881 ou de celles des articles 9 et 9-1 du Code civil », c’est-à-dire des textes relatifs notamment à la diffamation, à l’injure, ainsi qu’aux atteintes à la vie privée et à la présomption d’innocence.

Les magistrats ont ensuite indiqué qu’« il importe aux consorts Wildenstein, sur lesquels repose la charge de la preuve, de démontrer l’existence d’une faute distincte des infractions aux dispositions spéciales rappelées, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre ce préjudice et la faute alléguée, étant observé que la liberté d’information et d’expression de l’historien trouve ses limites dans le cas où il manque au respect qu’il doit à la vérité ».

Et ils concluent : « il n’appartient pas à la Cour de trancher la controverse suscitée par l’ouvrage (…) et qui relève de la seule appréciation des historiens et du public ; (…) elle ne peut apprécier la méthode employée par l’auteur pour écrire son œuvre ; (…) à ce titre, les consorts Wildenstein et leur société ne caractérisent pas l’existence d’inexactitudes, de dénaturations ou d’omissions de faits fautives imputables à ce dernier et à l’origine pour eux, qui ne sont nullement cités dans l’ouvrage litigieux, d’un préjudice personnel en liaison avec les fautes alléguées. »
 

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