7 juin > roman Serbie > Slobodan Selenic

"Le temps ne passe pas sans laisser de traces." Lorsque Dragan se penche sur les siennes, il est brusquement confronté à un condensé d’horreurs et de beautés. "Il y a une hiérarchie dans nos actes…" Là, il n’y en a qu’une qui s’impose: "Je sais, depuis une heure, avec certitude que je dois écrire ce livre." Un mille-feuille qui revisite l’histoire d’un homme et d’un pays.

Son récit débute en 1944, en Yougouslavie. Alors que Belgrade a connu des années de guerre et de pénurie, elle vit enfin la libération. Le narrateur décrit la ville comme "une fantasmagorie, pleine de morts et d’estropiés d’un côté, de gens réjouis et enthousiastes de l’autre". Une dualité également présente chez un centenaire, qui vient de s’éteindre. Quel est le lien entre Dragan et "le Vieillard"? Cette paire d’infortunés, a priori improbable, a cohabité lors de l’occupation. Etudiant en médecine, le premier a perdu tous les siens en 1941. Le second est un ancien juriste et homme politique controversé. Le destin les réunit à travers des logements réquisitionnés. Bientôt, le jeune Dragan se laisse envoûter par Stojan Blagojevic, un puits de connaissances et d’anecdotes. Ce grand monsieur a traversé un siècle d’histoire yougoslave. Fasciné, le protagoniste le ressuscite sur papier. Mais on ne s’improvise pas facilement biographe.

C’est là que Dragan saisit le fossé entre le personnage mythique et le réel, obnubilé par Mila, sa femme si charnelle. Que révèle vraiment cette idylle? Jusqu’où nous mènent l’ambition et la trahison? "Contre la peur de la mort, on ne peut que s’endurcir avec le temps. C’est ainsi que se manifeste la seule force de l’homme", constate Dragan. Une philosophie qui compte aussi pour lui, puisqu’il revisite sa vie par la même occasion. "Les miracles n’existent pas", quoique… Il suffit que Biljana fasse son apparition pour que le monde s’illumine. Grâce à cette jeune prostituée, touchante et un peu écervelée, Dragan ou le vieux Stojan oublient leurs soucis. D’autant qu’avec elle surgit toute une galerie de personnages féminins surprenants. Mais un serpent à deux têtes, extrêmement insidieux, se faufile lentement dans leur univers "familial". La guerre et les penchants malveillants se nichent dans les recoins les plus inattendus de l’être humain. Stojan disait qu’il vaut mieux "s’adapter au monde, qui n’est jamais disposé à s’adapter à l’individu".

Ecrit dans un style moderne et lucide, le roman de Slobodan Selenic apparaît comme une œuvre majeure pour décrire la destinée serbe à travers le siècle dernier. Kerenn Elkaïm

18.05 2018

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