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La Cour de cassation a rendu un arrêt, en date du 14 octobre 2015 sur le statut juridique d’un coauteur qui s’était mis en tête de résilier seul le contrat d’édition, l’unissant, lui et son comparse à la société d’édition.

Rappelons que l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) énonce en son premier alinéa : « Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. » Il s’agit donc d’une œuvre créée par deux auteurs ou plus. Leurs apports respectifs peuvent être de même nature (chacun écrit une partie de l’ouvrage) ou totalement différents (un scénariste et un dessinateur, dans le cas d’une bande dessinée). Pour que ce statut s’applique, il n’est pas nécessaire que les auteurs aient véritablement travaillé de concert. L’œuvre de collaboration est donc une situation très commune dans le monde de l’édition.

L’éditeur doit, par exemple, prendre garde à l’incidence des illustrations : le livre, s’il est abondamment illustré, peut devenir une œuvre de collaboration entre l’auteur du texte et celui des dessins ou photographies. C’est ainsi qu’un artiste graveur s’est vu reconnaître devant les tribunaux la qualité de coauteur d’un livre consacré à l’art fantastique de la gravure, pour lequel sa spécialité lui avait valu de jouer le rôle de conseiller

Les nombreux – et souvent célèbres – couples littéraires sont constitués juridiquement de coauteurs, quelle que soit leur méthode de travail : Souvestre et Allain (écrivant chacun, à tour de rôle, les chapitres des aventures de Fantômas), Boileau-Narcejac, etc. Une œuvre peut être considérée comme de collaboration quand bien même un auteur aurait à lui seul écrit presque tous les chapitres, et d’autant plus si l’éditeur a apposé deux noms sur la couverture du livre.

Les « nègres » ont la possibilité de se faire reconnaître le statut de coauteurs et d’exiger aussi bien la mention de leur nom que le versement d’une rémunération proportionnelle.

Les interviews représentent un cas singulier : a priori les coauteurs sont l’interviewé et l’intervieweur. Néanmoins, si l’une des participations manque d’originalité, élément nécessaire à une protection par la propriété littéraire et artistique, son auteur ne pourra être considéré comme coauteur. Il ne s’agira donc pas d’une œuvre de collaboration. L’intervieweur est seul auteur si les réponses à ses questions sont remarquablement banales ou s’il les a totalement mises en forme. Parfois, ce sera à l’interviewé seul que sera accordée la qualité d’auteur si les questions sont banales ou si les propos recueillis n’ont aucunement été retravaillés par le journaliste; c’est aussi souvent le cas si l’interviewé doit approuver le manuscrit définitif. Enfin, les interviews ne doivent pas être confondues avec les récits tirés de séries d’entretiens.

Les coauteurs se partagent la propriété de l’œuvre : l’article L. 113-3 du CPI dispose que « l’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs ». Mais ils se partagent aussi à part égale l’exercice des droits sur leur œuvre commune. Cette propriété commune ne signifie pas pour autant que leur rémunération devra être égale. Il est fréquent que le scénariste de bande dessinée reçoive un pourcentage inférieur à celui du dessinateur. Il en est souvent de même dans le cas d’un livre d’entretiens entre un journaliste et une personnalité. Par ailleurs, « les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord. En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer » (article L. 113-3 du CPI). Cette juridiction civile est aujourd’hui le tribunal de grande instance.

En cas d’action en justice exercée contre des tiers, il est nécessaire que tous les coauteurs y participent si leurs contributions sont inséparables . Ils devront donc être ou demandeurs au procès ou bien être « attraits » par celui qui a décidé d’assigner. Seule la défense du droit moral, droit éminemment discrétionnaire, semble, selon certaines juridictions, échapper à l’obligation d’agir à plusieurs.

C’est ainsi que la Cour de cassation, dans on arrêt du 14 octobre 2015, souligne que l’exercice des droits est à effectuer de concert entre les coauteurs, « sauf à saisir la justice de leur différend ».

Ajoutons enfin que, cependant, quand bien même la propriété de l’ensemble de l’œuvre échoit à tous les auteurs, chacun reste maître de son propre apport si celui-ci est individualisable. Selon l’article L. 113-3 du CPI, « lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l’exploitation de l’œuvre commune ». Si donc aucune clause du contrat n’interdit à chacun des coauteurs une exploitation séparée ultérieure, ils pourront librement y procéder, sous la seule réserve que concurrence ne soit pas portée à l’œuvre principale.

En pratique, un travail d’écriture conjoint ne permettra que rarement une exploitation séparée. Il a déjà été jugé qu’un dessinateur de bandes dessinées ne pouvait exploiter séparément son apport. Mais il existe une jurisprudence contraire, issue de la Cour de cassation en 1997, attribuant à un seul des auteurs la propriété des personnages et de leurs noms. Le même arrêt a permis de juger que le dessinateur était seul propriétaire matériel des planches originales, car il en était l’exécutant.
 
 

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