Poche

La nouvelle vie des livres "au prix d’un café"

La nouvelle vie des livres "au prix d’un café"

Héritières du "livre à 10 francs", qui secoua l’édition au milieu des années 1990, les collections de livres à petit prix ont fait des choix stratégiques différents pour conserver une visibilité en librairie. Coup de projecteur sur un format propice aux expérimentations.

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Par Marine Durand,
Créé le 19.02.2016 à 01h00 ,
Mis à jour le 19.02.2016 à 16h30

On les imaginait concurrentes, mais sur le petit marché des collections de livres "au prix d’un café", pas de compétition qui tienne. "Nous avons un positionnement différent de Librio ou de "La petite collection" de Mille et une nuits", assure Anne Assous, la directrice de Folio, qui se charge de "Folio 2 €" depuis le départ de l’éditeur Bertrand Mirande-Iriberry fin janvier, et en attendant un prochain recrutement.

Né en 1993 avec le "livre à 10 francs" de Mille et une nuits, le segment du poche à très petit prix a connu son apogée au début des années 2000, avant de progressivement se tasser. Le Livre de poche a arrêté "Libretti" en 2014 et les "Classiques à petit prix" de Pocket n’accueillent plus en moyenne que deux nouveautés par an depuis 2010. Pour subsister, les trois principales collections qui alimentent aujourd’hui le marché n’ont eu d’autre choix que d’affirmer clairement une ligne éditoriale singulière, tout en veillant à susciter l’intérêt des libraires. Si la marque de Fayard se maintient, Librio et "Folio 2 €" enregistrent de belles progressions en 2015, portées par les réactions des lecteurs aux attentats de Charlie Hebdo.

Librio, le partenaire des élèves se renouvelle

Meilleures ventes et à-paraître de Librio- Photo OLIVIER DION

"Quand je suis arrivée en janvier 2013, Librio était une pure collection de classiques peu chers", se souvient l’éditrice Fleur d’Harcourt. A l’époque, la marque créée en 1994 par J’ai lu n’incarne plus qu’une ligne de produits en déclin, qui a déserté les hypermarchés et fait les frais de l’interclassement en librairie. Le changement est pourtant déjà en marche. Un rhabillage progressif des titres à l’office et des réimpressions a été entamé dès 2012 afin de faire oublier la couverture à damier, bien connue des collégiens français mais plus vraiment au goût du jour. "Mon premier objectif a été de redonner des rendez-vous aux libraires et à la presse", raconte Fleur d’Harcourt. Elle décide de mettre l’accent sur les inédits, qui ont représenté jusqu’aux deux tiers des nouveautés en 2015. De courts essais engagés, de Clémentine Autain ou de Michel Rocard, s’ajoutent à de petits titres d’humour qui tranchent avec l’image de la collection avec plus ou moins de succès : Avant j’avais une vie, maintenant j’ai des enfants, paru fin 2014, atteint les 40 000 ventes, alors que Je déchire au collège n’a pas trouvé son public. "Les inédits permettent de valoriser le fonds généraliste de Librio, qui va de la philosophie à l’histoire, du policier au théâtre", note l’éditrice, qui attend beaucoup fin février de Autisme : ce sont les familles qui en parlent le mieux (24 février), coordonné par Eglantine Eméyé. Le chiffre d’affaires 2015 est en hausse, notamment grâce au Petit traité d’intolérance de Charb, dont les ventes ont explosé à partir de la mi-janvier. Mais 2016 devrait être recentrée sur l’un des piliers de Librio, le parascolaire, réforme du collège oblige. "Nous sommes en train d’établir l’appareil critique de plusieurs textes qui jusque-là n’étaient pas prescriptibles. C’est un travail important mais qui ne se voit pas en librairie."

"Folio 2 €", la collection apéritive

La collection "Folio 2 €"- Photo OLIVIER DION

Anne Assous a le sourire. En 2015, "Folio 2 €" a enregistré une croissance de 37 % de son chiffre d’affaires. Une progression colossale qui mérite une certaine nuance : déposé sur l’autel improvisé aux victimes de Charlie Hebdo place de la République, le Traité sur la tolérance de Voltaire s’est révélé une aubaine, d’autant que les classiques ne sont pas au cœur de la collection créée en 2002. ""Folio 2 €" a été lancée à la suite d’une opération marketing sur nos livres à petit prix", rappelle Anne Assous. "Un simple macaron "2 €" sur la couverture nous a permis de doubler les ventes." Le parti pris de la collection consiste depuis lors à s’appuyer sur le riche fonds Gallimard pour y sélectionner des nouvelles ou des textes courts à proposer sous une autre forme. "La formule sert à faire découvrir des pépites", explique-t-elle, à l’image de Lettre au père de Kafka, l’un des premiers titres en 2002 et l’une des meilleures ventes (200 000 exemplaires). Si le projet éditorial a peu varié en quinze ans, les éditeurs successifs se sont autorisé des inédits comme Nous sommes tous des féministes, retranscription d’un discours de Chimamanda Ngozi Adichie, ou la série des "petits éloges" dont le dernier, Petit éloge de la lecture par Pef, a eu les honneurs de "La grande librairie" en décembre. "Objet propice aux expériences", le livre à mini prix de Folio s’apprête à accueillir en 2016 des titres de Barjavel ou de Jaworski, mais aussi des nouvelles de Scholastique Mukasonga "dans lesquelles toute son œuvre est déjà en germe", selon l’éditrice : "Folio 2 € est une collection apéritive, qui permet d’entrer en littérature. De préférence chez Gallimard, mais nous ne sommes pas sectaires !"

Mille et une nuits, le pionnier consolide ses points forts

"La petite collection" de Mille et une nuits- Photo OLIVIER DION

"Pour le temps d’une attente, d’un voyage ou d’une insomnie", disait le slogan lorsque, en 1993, les Italiens Maurizio Medico et Nata Rampazzo fondaient les éditions Mille et une nuits et créaient en France le "livre à 10 francs". Inspiré du modèle italien du livre à 1 000 lires, le concept séduit immédiatement le public, mais suscite parmi les éditeurs et les libraires les critiques de ceux qui y voient un fossoyeur de l’édition, avant que plusieurs collections de poches s’emparent à leur tour de ce marché. Vingt-trois ans après sa création, "La petite collection", qui regroupe la quasi-totalité de la production, "se maintient, avec une quinzaine de parutions par an", indique Sandrine Palussière, directrice littéraire chez Fayard, dont Mille et une nuits est désormais une marque. "2016 sera une année charnière. Repenser "La petite collection" devrait être le prochain chantier de la maison", précise-t-elle, ayant déjà relancé ses marques Mazarine et Pauvert. Entre ses deux axes principaux, la littérature d’idée et l’humour - le philosophe fictif Jean-Baptiste Botul y a 4 titres -, la marque multiplie les propositions, misant sur l’actualité (des lettres de Poussin parues en juin, à l’occasion d’une exposition au Louvre) ou sur des personnalités pour faire connaître de la littérature oubliée, à l’image de Greffe mortelle de Marc Agapit, préfacé par Philippe Vasset. "C’est une initiative que l’on va développer, avec cinq titres en moyenne chaque année", annonce Sandrine Palussière, qui ne perd pas de vue l’esprit Mille et une nuits : "Faire des livres qui étonnent, tout en apportant une stimulation littéraire et intellectuelle."


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