Disparition

On le croyait immortel. Jean d'Ormesson est mort dans la nuit du lundi 4 au mardi 5 décembre. Il avait 92 ans. Ironiquement, Et moi je vis toujours doit être le titre de son ultime roman, que Gallimard prévoit de publier en février, où le narrateur évolue entre les époques en relatant les grandes avancées culturelles de l'humanité.

Né à Paris, le 16 juin 1925, d’une famille de conseillers d’État, de contrôleurs généraux des finances, d’ambassadeurs de France et de parlementaires, les Lefèvre d'Ormesson, l'agrégé de philosophie a laissé une œuvre prolifique de romans et d'essais, récompensés et populaires. La Pléiade l'avait fait entrer de son vivant dans son "panthéon" en publiant un premier tome en avril 2015, qui comprend Au revoir et merci, La gloire de l'Empire, Au plaisir de Dieu et Histoire du Juif errant.

Marqué à droite, cet ancien journaliste devenu directeur général du Figaro (1974-1977) avait aussi été Secrétaire général, puis Président du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines à l'UNESCO. Il avait été élu à l'Académie française, le 18 octobre 1973, au fauteuil de Jules Romains (lire son discours de réception).
 
Photo OLIVIER DION

L'écrivain a été distingué par plusieurs récompenses: Grand prix du roman de l’Académie française pour La gloire de l‘Empire en 1971, Prix Balzac pour Au plaisir de Dieu en 1975, Prix Scanno pour Histoire du juif errant en 1992, Grand Prix RTL-Lire pour La douane de mer en 1994 et Prix Jean Giono pour Le rapport Gabriel en 1999.

L'esprit et le temps

Voyageur et flâneur, amoureux de Paris et de Venise, hédoniste qui ne se lassait pas de regarder les femmes et infatigable écrivain, charmeur et médiatique - la télévision aimait inviter ce "bon client" érudit et enthousiaste -, Jean d'Ormesson a publié 50 ouvrages durant 60 ans. Son premier, L'amour est un plaisir (1956, Julliard), ode à la jeunesse, entre Kerouac et Sagan, s'est peu vendu. Après Les illusions de la mer (1968), roman qu'il considère avoir "loupé", il quitte son éditeur pour passer chez Gallimard, qui publie en 1971 La gloire de l'Empire, son premier grand succès en librairie. Facétieux, il imagine l'histoire et la chronologie d'un empire antique et fictif. Dix ans plus tard, il s'amuse à retranscrire la création de l'univers dans Dieu, sa vie, son œuvre. L'éternité le fascine, et il s'en amuse aussi avec Simon, personnage étrange et errant à travers les civilisations dans Histoire du Juif errant, paru en 1990. Il continue régulièrement à rendre hommage aux grands hommes et à l'Histoire (La conversation).

Bienveillance

"Écrire est très difficile, mais ne pas écrire est impossible" disait-il. On lui reprochait de faire toujours les mêmes livres. Mais c'est qu'il y avait incontestablement un style d'Ormesson, une écriture qui séduisait, une écriture qui invitait une manière de vivre. Dans son dernier ouvrage publié, Guide des égarés (co-édité avec la maison de sa fille Héloïse d'Ormesson), il prodigue, à la façon d'un manuel, des conseils pour parvenir à profiter du monde dans lequel tout un chacun est jeté, sans forcément savoir où aller.
 

François Busnel et Jean d'Ormesson sur le plateau de la Grande librairie.- Photo FRANCE 5

Il n'y a jamais de regrets dans ses écrits. Je dirai malgré tout que cette vie fut belle comme il avait intitulé l'un de ses best-sellers. Fou de littérature (il avait d'ailleurs écrit à la fin des années 1990 Une autre histoire de la littérature française en deux tomes), il publie un et parfois deux romans par an. Depuis 2001, il alternait ses publications entre Gallimard, Robert Laffont et Héloïse d'Ormesson. Certains livres, des romans, des récits, des recueils de chroniques, se vendaient à plus de 200000 exemplaires.

Epris de la vie, préférant les passions qui naissent aux amours fânées, acteur pour Godard et face à Catherine Frot, où il se régala dans Les saveurs du Palais à incarner François Mitterrand, il n'est dupe de rien: ni du cirque de la télévision, ni de la fragilité de l'existence.

Mélancolique et sentimental, il s'interroge livre après livre sur le sens de l'Histoire et celui de la vie. Avec C’est une chose étrange à la fin que le monde et Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit (2010 et 2013), à travers la société, l'amour et l'univers, il juxtapose des histoires sentimentales et des considérations philosophiques, avec toujours cette réflexion qui le tiraille sur deux des principales interrogations de l'humain : l'existence de Dieu et le devenir de l'homme après la mort. Thème avec lequel il renoue dans Comme un chant d'espérance (2014), roman sur Dieu, l'homme et l'univers, qui tente de percer le mystère du néant, ou dans Le rapport Gabriel (1999).
 

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La mort était-elle une obsession? Il en parlait beaucoup. Elle revient également souvent dans ses livres (La douane de mer), même s'il confiait y penser très peu. Ses racines étaient un sujet d'inspiration aussi. Dans Au revoir et merci (1966), il questionne de façon rieuse, lucide et sans illusions sur son rapport à la famille, à la société et à l'époque. Avec Au plaisir de Dieu (1974), reprenant ainsi la devise de sa famille, il explore une famille de noblesse. Roman rédigé sur plusieurs décennies, il pose ici quelques-uns de ses thèmes, notamment les valeurs traditionnelles, la Patrie, l'attachement à la terre et le lien spirituel.

Avec Voyez comme on danse (2001), il explique sa vision de la finalité. "Toute mort est un mystère parce que toute vie est un mystère", rappelant: "La naissance est le lieu de l'inégalité. L'égalité prend sa revanche avec l'approche de la mort."

Rappelons que Jean d'Ormesson avait choisi "Destinée" comme mot attribué lors de sa réception à l'Académie française.

"Je me sens écartelé entre catholicisme et paganisme" avouait-il dans un entretien au Point. Et d'ajouter: "Je suis agnostique, c'est-à-dire que je ne sais rien sur Dieu. Mais oui, j'espère bien qu'il existe. Grâce à lui, il y a une surprise merveilleuse qui m'attend. Et je suis impatient de savoir ce qui va se passer après..."

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