Peu après la guerre, Staline et Maurice Thorez eurent une longue discussion. On ne présente plus Staline. Maurice Thorez était le secrétaire général du PCF de 1930 à 1964. Il quitta – déserta ? (rude polémique) – l’armée française en octobre 1939 pour devenir moscovite jusqu’en 1944. Thorez, dont le Parti venait d’être interdit, ne voulait pas faire la guerre contre les nouveaux alliés de l’Urss. Il refusait de combattre aux côtés du capitalisme mondial. Il rencontre le Petit Père des Peuples au sortir des années noires. Staline célèbre avec emphase la Grande Guerre Patriotique – nom officiel soviétique de la Deuxième Guerre mondiale qui ne commence, pour eux, que le 22 juin 1941. Thorez entend montrer que le PCF, ça n’est pas rien. Aux centaines de milliers de héros soviétiques victimes des nazis, revendiqués par Staline, notre national-Maurice oppose avec aplomb les quelques 350 000 fusillés du PCF. Chiffre considérable : le PCF comptait 270 000 adhérents lorsqu’il fut dissous par Daladier en septembre 1939 juste après la signature du Pacte d’amitié germano-soviétique. Faites le calcul. Le Parti des fusillés En comptage de fusillés, le Parti n’était pas chiche. Il s’en était d’abord approprié 100 000, puis le chiffre se stabilisa à « 75 000 communistes passés devant les pelotons d’exécution » (Maurice Thorez). Le PC s’autoproclame Parti des 75 000 fusillés. Il n’a-de-leçons-à-recevoir-de-personne. Les historiens, depuis, ont établi un chiffre d’environ 4500 personnes fusillées par l’Occupant durant la guerre. Les deux tiers étaient des communistes. La sténographie de la rencontre Thorez-Staline vient d’archives russes consultées par Stéphane Courtois, maître d’œuvre d’une première en France : un Dictionnaire du communisme , tout juste paru chez Larousse. Stéphane Courtois en fit lecture au Festival du Livre d’Histoire qui vient de se tenir Blois. Il a redit également qu’une dispute de chiffres était, en soi, odieuse : une mort injuste est injuste, quelles que soient les statistiques. Ce chiffre de 4500 personnes respecte les critères fixés par Thorez : il s’agit de compter les personnes passées par le peloton d’exécution . Il y eut bien d’autres morts : par déportation, par exécutions sommaires et par massacres collectifs tels qu’Oradour sur Glane. Soyons néanmoins précis : des personnes fusillées dans les règles, si l’on ose dire, il n’y en a jamais eu 75 000. Et tous ces fusillés n’étaient pas communistes. Triste destin de Guy Môquet Pourquoi revenir sur ces disputes puisque les historiens sont à peu près d’accord ? A cause de Guy Môquet, bien sûr. Non pas à cause du vrai Guy Môquet, le très jeune homme fusillé le 22 octobre 1941. Mais à cause de cette lettre qu’il fallait lire hier et qui a tant occupé, préoccupé, l’Education nationale. Sur les faits, il semble que tout le monde ait compris. Fils d’apparatchiks staliniens, Guy Môquet a distribué des tracts antigouvernementaux, c'est-à-dire antivichyssois en octobre 1940. Conformément aux choix de Staline, de Thorez et de Duclos, les tracts du PC dénonçaient l’Etat Français. Ils invitaient aussi les travailleurs (ouvriers, paysans) à ne pas soutenir l’infâme bellicisme du Grand Capital anglo-américain, fauteur de guerre. En octobre 1940, le PCF respectait les accords soviéto-germaniques : tous unis contre le cosmopolitisme des ploutocrates. Pas un mot pour la Résistance. On avait oublié Guy Môquet – sauf la station de métro dans le XVII° arrondissement, dont son cheminot de père avait été le député PCF en 1936. Nicolas Sarkozy, avec le soutien lyrique de Max Gallo et la documentation approximative d’Henri Guaino, l’a remis sur le devant de la scène. Résultat : cette lecture nationale d’hier. Idiots utiles Tout le monde est d’accord : Guy Môquet était un vaillant garçon, trop jeune pour comprendre le spiel dont il fut victime. Car le camarade Joseph – l’homme au sourire plus doux que des framboises (chant d’école soviétique) – considérait ces militants comme des « idiots utiles ». De braves gars qui se faisaient fusiller pour un contresens. Ils mouraient pour que le taureau du Nord et Jacques Duclos (mais quand publiera-t-on une vraie biographie de Duclos ?) puissent continuer leur carrière. Souvenons-nous du 1 er juin 1969, élection présidentielle. Au premier tour, l’un des êtres les plus douteux et les plus sombres de notre histoire politique récente obtint 21,5 % des suffrages. Staline en rit encore. Le Pen, malgré tout son cynisme, n’a pas égalé le score du faux petit pâtissier des Hautes-Pyrénées dont le talent de tueur, de menteur, de falsificateur, reste sans égal. Et qui, somme toute, a signé, un exploit posthume : plus personne ne s’intéresse à lui. Une biographie historique du petit bonhomme serait sans doute un échec commercial. Et c’est ainsi qu’un personnage hautement romanesque, digne de Torquemada (sauf son look ), reste un homme ordinaire, auteur de crimes politiques ordinaires, rassurant une France qui voudrait tant être ordinaire. Oublions, notre copain Jacques, l’homme du bon pain, du bonnet blanc et du blanc bonnet. Constatons l’évidence. Comment des enseignants peuvent-ils commenter le micmac Môquet à des élèves qui ne savent quasiment rien de la Deuxième Guerre ? Il aurait fallu dire : ben voilà, c’était un garçon généreux, fourvoyé, qui a payé de sa vie les mensonges et les approximations du Parti communiste. Qui n’a pas pu être résistant, parce que le Parti ne résistait pas encore. Qui a été arrêté par la police française. Qui a été versé par cette même police dans les listes des Allemands. Et que ceux-ci ont fusillé, avec d’autres otages, pour « venger » l’assassinat du Feldkommandant de Nantes (20 octobre 1941) par des communistes. Les dates ont ici un sens : l’opération Barberousse – Hitler contre l’Urss – commence le 22 juin 1941. La politique de Thorez et Duclos a changé ce jour là, sur ordre de Staline. Guy Môquet avait été arrêté en 1940, alors que Jacques Duclos négociait encore avec l’Occupant la reparution de L’Humanité . Allez expliquer toute l’affaire, en quelques mots à des enfants ou adolescents d’aujourd’hui… Moralité. La géniale exploitation de l’ idiot utile par le camarade Iossif Vissarionovitch Djougachvili a parfaitement fonctionné. Cet idiot n’est pas le malheureux Guy Môquet. Mais l’icône Môquet usinée et rectifiée par la propagande du PC. Il a fallu pour en venir à cette Lettre toute la longue chaîne des compagnons de route – ressassant les mots d’ordre du Petit Pâtissier Duclos – puis le bricolage d’Henri Guaino, bricolant à son tour les discours de Nicolas Sarkozy , avec un seul souci : comment emberlificoter la gauche, qui adore qu’on l’emberlificote ? A lire C’est ainsi qu’un vieille désinformation s’est transformée en lecture des écoles, avec la bénédiction de Max Gallo (de l’Académie Française) : texte Guaino, musique Sarko. Mémoire Zéro. Car, de cela j’en suis sûr : ni Guaino, ni Sarko, ni Gallo n’ont pris la peine de mettre à jour leurs connaissances. Ils ont ratifié Joseph et Jacques. Les idiots utiles se trouvent au plus haut niveau. Rappelons donc : le Dictionnaire du Communisme de Stéphane Courtois (Larousse), l’article de Jean-Pierre Azéma sur Guy Môquet, Sarkozy et le roman national , dans l’Histoire n°323 (septembre 2007) et le récent ouvrage de Jean-Marc Berlière et Frank Liaigre : Liquider les traîtres (Laffont). Si vous lisez Livres Hebdo , c’est dans le n°700, du 7 septembre 2007.
15.10 2013

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