Europe

Avec plus d’une année de retard sur son calendrier initial, la Commission européenne (CE) a rendu public le 14 septembre son projet de directive sur le droit d’auteur dans un marché unique numérique, la partie principale de son programme de révision de la directive droit d’auteur datant de 2001. L’objectif est de faciliter la diffusion des œuvres culturelles dans l’ensemble de l’Union européenne en utilisant les nouvelles technologies pour créer un grand marché de la création. Il devrait profiter aux acteurs du secteur selon la CE, et rapprocher les Européens avec des échanges comportant plus d’implication que la seule consommation et circulation de biens et de services. C’était un des grands projets annoncés par Jean-Claude Juncker en 2014, quand il a été nommé à la présidence de la Commission, pour relancer une construction européenne dont il pressentait les difficultés, considérablement aggravées depuis.

Il s’agit de mettre à jour une réglementation adaptée "aux réalités numériques, afin de s’assurer que les industries créatives européennes resteront compétitives, et de maintenir un bon équilibre entre le droit d’auteur et les autres objectifs de politique publique tels que l’éducation, la recherche, l’innovation et les besoins des personnes handicapées", explique le texte qui introduit la directive et les trois autres textes réglementaires l’accompagnant (tous encore en anglais). Deux d’entre eux concernent la mise en œuvre du traité de Marrakech, relatif à l’accès des œuvres pour les malvoyants.

Comme toujours dans le domaine du droit d’auteur, les tensions se cristallisent sur la place du curseur juridique et économique entre les intérêts des ayants droit et l’intérêt général de la diffusion des idées. Plutôt satisfaits de l’équilibre actuel et réticents à le modifier en l’absence de certitude sur le résultat, les acteurs de la création ont d’emblée réagi avec méfiance, voire hostilité à ce projet, soupçonnant que l’intérêt général soit instrumentalisé par les géants des nouvelles technologies, les fameux GAFA - Google, Amazon, Facebook et Apple.

Tous sont américains, alors que les industries créatives sont principalement européennes, notamment dans l’édition, où six des dix premiers groupes mondiaux sont européens. Ils sont même propriétaires pour cinq d’entre eux d’importantes filiales aux Etats-Unis, où leurs rachats n’avaient pas été vus comme une perte de souveraineté nationale, mais plutôt avec une surprise condescendante pour ces Européens se fourvoyant dans la vieille économie.

En voulant mettre de l’ordre dans les bouleversements causés par ces nouvelles technologies, le projet de directive, en 5 parties et 24 articles, semble pour le moment mécontenter tout le monde. Les représentants européens des bibliothèques se disent déçus. Les partisans d’une libéralisation de l’accès, incarnée par la députée européenne Julia Reda, fustigent un texte jugé outrageusement favorable aux ayants droit, lesquels réaffirment leur opposition aux exceptions, notamment dans le livre, par la voix de la Fédération européenne des éditeurs (FEE).

Lutte contre le piratage

Les exceptions, qui confèrent le droit d’utiliser des œuvres protégées sans l’accord de leurs auteurs et producteurs, mais avec un possible dédommagement, concernent la fouille de données dans les publications scientifiques pour la recherche, l’utilisation de contenus pour l’enseignement, et la numérisation d’œuvres dans un but de protection patrimoniale. La FEE a répété que ces objectifs pouvaient être atteints par la voie d’accords et de licences négociés. Ces exceptions auraient un caractère plus contraignant que celles qui avaient été listées dans la précédente directive, dont la transposition avait été laissée à l’appréciation des Etats membres, aboutissant à une situation jugée trop disparate et freinant l’économie de la création, selon la Commission.

Dans le domaine du livre, la directive prévoit de renforcer la lutte contre le piratage. Elle envisage aussi de conforter la place des éditeurs dans les droits de copie privée et de reprographie, récemment mis en cause par un arrêt de la Cour de justice de l’UE. Reste à savoir qui pourra vraiment profiter de ce marché unique numérique. Pour le moment, les seules entreprises disposant d’une implantation dans toute l’Union sont les filiales européennes des GAFA, à l’image d‘Amazon, qui a déjà réussi à créer sur sa place de marché cette organisation transfrontalière souhaitée par Bruxelles.

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