Dossier

Dossier Droit : sur la vague des réformes

Olivier Dion

Dossier Droit : sur la vague des réformes

Redynamisé par la transformation du droit des contrats de l’an dernier, le marché de l’édition juridique aborde cette rentrée avec un calendrier très favorable en termes d’évolutions législatives. La rapidité de certaines réformes oblige les éditeurs à avancer la publication de nombreux titres.

J’achète l’article 4.5 €

Par Charles Knappek,
Créé le 01.09.2017 à 14h46

La réforme du droit des obligations entrée en vigueur le 1er octobre 2016, la plus importante depuis la rédaction du Code civil en 1804, a tenu ses promesses. Elle est la cause principale de la croissance à deux chiffres observée par les principaux éditeurs suite à la rentrée 2016 (+ 10 % pour Dalloz ou + 11 % pour LexisNexis et Lextenso, selon les données fournies par les éditeurs). Ces résultats exceptionnels s’expliquent par la mise à jour rendue obligatoire de la quasi-totalité du fonds existant, auquel sont venues s’ajouter quelques nouveautés qui ont séduit un large public, en particulier chez les professionnels. Dalloz a pu s’appuyer sur des ouvrages aussi solides que Le nouveau droit des obligations et des contrats ou Aux sources de la réforme du droit des contrats, et poursuivra son entreprise de décryptage avec le titre bilingue français-anglais Influence de la réforme des obligations sur le droit des affaires, annoncé pour novembre. Chez LexisNexis, Droit des obligations a profité de la refonte, l’an dernier, des couvertures de la collection "Manuel" désormais davantage tournée vers les professionnels. Dans le même temps, l’éditeur a publié une somme de près de 1 000 pages intitulée Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. "La réforme a généré une demande forte et persistante du public", résume Renaud Lefebvre, gérant des éditions Francis Lefebvre (EFL) qui signale notamment les 6 000 exemplaires vendus de Réforme du droit des contrats, paru dans la collection "Dossier pratique".

Niveaux inégalés

L’impact de la réforme a été particulièrement sensible sur le marché des codes. Dalloz confirme une "progression de près de 40 % en volume" des ventes de l’édition 2017 du Code civil selon sa directrice université et librairie Camille Sztejnhorn, tandis que Caroline Sordet, directrice éditoriale chez LexisNexis, confirme elle aussi le succès de "Codes bleus", avec un niveau de vente "équivalent à celui de 2013", année au cours de laquelle l’éditeur avait "pris le virage de l’accessibilité des prix et des jaquettes fantaisie".

"Le gouvernement a organisé la publication d’un très grand nombre de textes qui étaient en attente." Caroline Sordet, LexisNexis- Photo OLIVIER DION

Si les niveaux atteints en 2016-2017 risquent de rester inégalés, les éditeurs s’attendent néanmoins à conserver une croissance élevée au cours des prochaines années. Car le rythme des réformes reste soutenu : année électorale oblige, quelques propositions phares du candidat Macron vont trouver une application concrète à brève échéance (réforme du RSI, du droit du travail…). A quoi viennent encore s’ajouter la réforme de la procédure civile, déjà visible dans l’édition 2018 du code éponyme, et celle, escomptée pour l’année prochaine, de la responsabilité civile. De plus, la France a connu une vraie inflation normative en mai dernier à la fin du mandat de François Hollande : "Le gouvernement a organisé la publication d’un très grand nombre de textes qui étaient en attente, plus de 816 en l’espace de deux jours les 10 et 11 mai", rappelle Caroline Sordet, chez LexisNexis. De quoi porter l’activité des éditeurs, quitte à quelque peu bousculer leur calendrier : "Nous allons devoir intégrer très vite les modifications du droit après les ordonnances de l’automne, souligne Renaud Lefebvre, chez EFL. Lors des procédures parlementaires classiques, nous avons plus de temps." "Pour cette rentrée, nous nous concentrons surtout sur l’actualité", abonde Camille Sztejnhorn, chez Dalloz. C’est particulièrement vrai pour les codes : Dalloz décline ainsi sa communication autour du leitmotiv : "Parce que la loi bouge, le code rouge." Si la parution des codes napoléoniens a été avancée à juillet en raison de la réforme du CRFPA, certains titres ont intégré les évolutions législatives les plus récentes, en particulier le Code de procédure civile, tant chez Dalloz que chez LexisNexis. "Il a été substantiellement modifié depuis la parution de la précédente édition, avec près d’un millier de modifications dont un grand nombre portant sur des procédures courantes et générales, et plusieurs centaines d’articles, notamment en ce qui concerne la procédure d’appel, matière bouleversée par un texte du 6 mai 2017, illustre Caroline Sordet, chez LexisNexis. A titre de comparaison, la réforme du droit des contrats a modifié 500 articles."

 

Fonction de recherche

Sur un marché des codes où la guerre des prix entre Dalloz et LexisNexis a cessé depuis l’an dernier, chacun y va de son astuce pour séduire un public le plus large possible. LexisNexis a ainsi publié en bleu la tranche des pages consacrées aux anciens articles du droit des contrats. "Cela plaît beaucoup aux étudiants qui veulent s’y retrouver plus facilement entre l’ancien et le nouveau droit, observe Christophe Gianardi, libraire chez Gibert Jeune, à Paris. LexisNexis a également conservé le petit livret complémentaire qui propose cette fois une table de correspondance expliquée entre anciens et nouveaux articles, table qui est directement incluse dans le code rouge de Dalloz et sur laquelle l’éditeur a décidé de renforcer sa communication en apposant une étiquette sur les couvertures desdits codes. Dalloz compte aussi sur les bonnes performances de son offre "Dalloz Connect", inaugurée l’an dernier et qui propose une fonction de recherche et un accès au code depuis le traitement de texte Word. Disponible uniquement avec les éditions classiques des codes rouges, "Dalloz Connect" a bénéficié d’un taux de connexion de 72 % au terme de sa première année d’exploitation selon l’éditeur. Du côté des nouveautés, LexisNexis se distingue avec une édition trilingue inédite du Code civil en français, anglais et arabe, sans annotation de jurisprudence, dont la parution est envisagée pour la fin de l’année, "dans le meilleur des cas", tempère Caroline Sordet.

Indépendamment des évolutions législatives, le marché professionnel semble avoir retrouvé un certain dynamisme intrinsèque. "Début 2017, alors que ce n’était pas la tendance des dernières années, nous avons observé une bonne réactivité du lectorat sur nos mémentos fiscal et social qui ont mieux marché que d’habitude", relate Renaud Lefebvre, chez Francis Lefebvre. L’éditeur assure vouloir "donner toutes ses chances au maintien du papier" alors même que le numérique représente aujourd’hui 60 % de son chiffre d’affaires global, et travaille pour ce faire à une refonte progressive de la maquette intérieure de ses Mémento.

Sur un positionnement voisin, la collection "Lexis pratique" inaugurée l’an dernier par LexisNexis a connu un démarrage "correct" selon Caroline Sordet. Les trois premiers titres consacrés au fiscal, au social et aux professions libérales devraient être complétés par quelques nouveautés dont les dates de parution restent encore à définir.

Chez Lextenso, la commercialisation depuis 2016 de l’offre numérique Lextenso.fr, articulée autour de plusieurs packs métier et packs matière, devrait permettre au numérique "de représenter 20 % de l’activité d’ici à fin 2018", selon Emmanuelle Filiberti, la P-DG du groupe. "Nous avons découpé les ouvrages par unités documentaires numérisées, précise-t-elle. Le lecteur peut entrer une requête dans la base de données et obtenir une série de réponses dans les différents ouvrages en arrivant directement sur un chapitre ou une section spécifique" Egalement sur le front du numérique, Francis Lefebvre complète son dispositif avec le lancement d’une nouvelle offre "Inneo Notaire". En parallèle, l’éditeur convertit sa revue mensuelle Solution notaire en hebdomadaire.

Nouvelles collections

Sur le marché universitaire, plusieurs nouvelles collections font leur apparition. Gualino, marque du groupe Lextenso, inaugure ainsi "Petit lexique" avec une série de neuf titres tirés de sa collection "En poche" qui se présentent sous forme de listes de "mots clés définis et expliqués". L’éditeur ouvre également la collection "Droit expert" dont les dix premiers titres développent des matières spécialisées enseignées en master et "directement utiles aux professionnels des secteurs d’activité concernés", selon Philippe Gualino, directeur marketing éditorial de la marque.

"Le droit est un marché difficile dès lors que les professeurs ne prescrivent pas." Manon Savoye, Ellipses- Photo OLIVIER DION

De son côté, partant du constat que "certains étudiants" demandent des contenus "plus rapides et moins volumineux", Dalloz lance une collection d’ouvrages vendus 14,90 euros, intitulée "Séquences" et destinée prioritairement aux L1 et L2. "L’enjeu est de nous adapter au renouvellement de l’enseignement avec une approche plus parcellaire des grands thèmes et des grandes notions, explique Hélène Hoch, directrice éditoriale universitaire chez Dalloz. Avec cette collection, nous proposons également de partir de l’exemple pour remonter au concept plutôt que l’inverse." "Séquences", qui sera régulièrement alimentée, verra aussi ses contenus proposés en vente par chapitres au format numérique. Deux titres inaugurent la collection à la rentrée : Introduction au droit et Droit constitutionnel. Pour Dalloz, il s’agit d’investir un marché du para-universitaire où il est encore peu présent, à l’inverse de Gualino ou d’Ellipses, historiquement positionnés sur ce créneau : "Le droit est un marché difficile dès lors que les professeurs ne prescrivent pas, rappelle Manon Savoye, directrice éditoriale chez Ellipses. Nous avons donc développé des outils pour aider les étudiants à travailler en autonomie en plus de ce qu’ils font en cours. Cela peut être sous forme de fiches, de schémas, de tableaux, d’entraînements…" Encore à la rentrée 2016, l’éditeur avait lancé une collection "Mes TD de droit", dont le développement se poursuit pour cette rentrée.

"L’enjeu est de nous adapter au renouvellement de l’enseignement avec une approche plus parcellaire des grands thèmes et des grandes notions." Hélène Hoch, Dalloz- Photo OLIVIER DION

Malgré la faiblesse de la prescription, certaines "bibles" sont néanmoins encore très attendues par les étudiants et assurent à leurs éditeurs des ventes constantes. Chez LexisNexis, la notoriété de Maurice Cozian, pourtant décédé en 2008, continue d’assurer le succès du manuel de Droit des sociétés et du Précis de fiscalité des entreprises. "Il y a une forte persistance rétinienne des auteurs fameux auprès du public étudiant", souligne Caroline Sordet. LexisNexis pourra le vérifier cet automne avec la nouvelle édition du "Grimaldi", Droit civil : successions, attendu depuis plus de dix ans.

Autre évolution en universitaire, Lextenso va publier plusieurs nouvelles éditions en "Manuel LGDJ" à l’occasion des 70 ans de la collection. Et quelques nouveautés accompagnent cet anniversaire comme Droit de la bioéthique et Droit de la responsabilité administrative. Sous sa marque Gualino, Lextenso orchestre le toilettage de la collection "Annales d’examens & sujets d’actualité - Corrigés commentés" lancée à la rentrée 2016. Il s’agit de répondre aux premières remontées du terrain. "Il y aura une nouvelle présentation, nous voulons rendre les titres plus pertinents sur la couverture ou sur le nombre de copies corrigées", détaille Emmanuelle Filiberti. De leur côté, les Puf publient, entre autres, Introduction générale au droit dans leur grande collection "Thémis" - le titre était jusqu’à présent proposé en "Licence droit" -, tandis que Vuibert ouvre sa collection "Les essentiels du Sup" au droit avec un premier titre Introduction au droit, annoncé pour cette rentrée. "Nous n’avons pas vocation à nous positionner sur le marché des éditeurs spécialisés. En revanche, l’univers de la révision et de l’entraînement nous est familier et nous sommes légitimes pour y proposer nos titres", explique François Cohen, directeur de Vuibert. Le titre cohabitera avec un manuel éponyme dans la collection "Vuibert droit".

Mises en sommeil

La réforme du droit des contrats a eu moins d’impact sur l’activité au rayon du droit pratique. Ce sont d’autres réformes, plus en prise avec les préoccupations du public, qui intéressent les éditeurs, telle la réforme du régime social des indépendants (RSI), attendue pour cette rentrée et qui contraint Prat à ajourner de quelques mois la parution du millésime 2018 de son guide pratique Indépendant. Si Prat annonçait l’an dernier mettre l’accent sur la collection à petit prix "Défendez vos droits !", développée pour traiter de sujets spécifiques, celle-ci est désormais "mise en sommeil", faute de résultats concluants. L’éditeur compte sur les bonnes performances de ses "Guides pratiques" et tente une échappée hors de ses terrains habituels avec Mutations dans l’univers des avocats, davantage destiné aux professionnels et qui aborde les mutations induites par la révolution numérique. "Beaucoup de start-up se sont emparées du domaine juridique pour offrir des services en ligne aux entreprises ou aux particuliers dans le cadre de leurs démarches administratives, elles concurrencent les avocats, explique Claire Cabaret, éditrice chez Prat. On parle des intelligences artificielles qui peuvent faire des prédictions sur les procès en cours grâce au big data."

Le droit en chiffres

La réforme du CRFPA bouscule les éditeurs

 

Les changements de l’examen destiné aux futurs avocats, qui avancent la date des écrits au tout début du mois de septembre, ont contraint les éditeurs à anticiper de quelques semaines la parution de plusieurs titres phares de leur catalogue, en particulier les cinq codes napoléoniens.

 

"Le grand oral intègre désormais des notions de culture juridique, ce qui manque en général beaucoup aux étudiants pendant leurs études." Emmanuelle Filiberti, Lextenso- Photo OLIVIER DION

Branle-bas-de-combat dans l’édition juridique. La réforme des épreuves de l’examen d’entrée au Centre régional de formation professionnel d’avocat (CRFPA), annoncée à l’automne dernier, a certes instauré la nationalisation des épreuves écrites - celles-ci étaient jusqu’alors organisées par chacun des 44 instituts d’études judiciaires de France -, elle a surtout avancé de deux bonnes semaines la date de l’examen. Les écrits ont démarré dès le 1er septembre, ce qui a contraint les éditeurs à avancer les parutions pour permettre aux étudiants de réviser dans de bonnes conditions. Alors que les codes napoléoniens paraissent habituellement dans la deuxième quinzaine d’août, Dalloz et LexisNexis se sont employés pour les installer en librairie dès juillet. Il s’agissait de parer au plus pressé : par exemple, les codes de LexisNexis ont d’abord été disponibles dans leur version bleue classique. Les jaquettes fantaisie que l’éditeur a pris l’habitude de proposer depuis 2013 n’ont été commercialisées que dans la deuxième quinzaine d’août - leur rythme classique de parution. Chez Dalloz comme chez LexisNexis, cette réactivité a porté ses fruits et a permis de mesurer avec plus de précision l’impact de ce marché spécifique : les acheteurs de codes des mois de l’été ont en effet surtout été les candidats au CRFPA. Les étudiants qui suivent leur cursus à l’université attendent en général l’automne pour procéder à leurs achats de codes et de manuels.

Public captif

Outre ce calendrier éditorial bousculé par les impératifs de l’épreuve, les éditeurs ont profité de la réforme pour mettre à jour leur fonds et publier de nouveaux titres répondant aux attentes d’un public très captif de près de 15 000 étudiants au minimum titulaires d’un master 1. Sur le front des manuels, Lextenso éditions a ainsi lancé une nouvelle collection aux couvertures jaunes intitulée "CRFPA" qui réunit un certain nombre de titres déjà présents à son catalogue tout en s’enrichissant de plusieurs nouveautés pour cette rentrée : Droit civil et Procédure administrative pour l’écrit, Précis de culture juridique pour le grand oral. "Le grand oral intègre désormais des notions de culture juridique, ce qui manque en général beaucoup aux étudiants pendant leurs études", indique Emmanuelle Filiberti, P-DG de Lextenso éditions. La réflexion a été sensiblement la même chez Dalloz, qui vient de publier Les grands discours de la culture juridique, également destiné aux admissibles du CRFPA, mais pas seulement. "Ce titre est sans équivalent dans l’édition juridique et devrait remporter un grand succès, avance Hani Féghali, directeur éditorial des ouvrages professionnels chez Dalloz. Il s’adresse aux étudiants du CRFPA et très au-delà, voire au grand public intéressé." Egalement dans une optique transverse, et pour capter les préparationnaires les plus élitistes, Dalloz a anticipé la parution du Guide des modes amiables de résolution des différends, publié en juillet. Mais le titre reste surtout destiné aux professionnels.

De son côté, LexisNexis peut s’appuyer sur le Code des droits de l’homme et des libertés fondamentales dont la première édition est parue en octobre 2016 et a été conçue dans l’optique du grand oral du CRFPA. Plus classiquement, et à défaut de s’appuyer sur une collection dédiée, Dalloz comme LexisNexis ont apposé un label sur les couvertures de leurs titres : "Autorisé à l’examen d’entrée au CRFPA" pour LexisNexis, et "Objectif avocat CRFPA" pour Dalloz.

Les dernières
actualités