Désolé, mais je ne suis pas de ceux qui se réjouiront béatement du débarquement hexagonal de lulu.com, ce site anglo-saxon d’auto édition qui lance sa version française. Si l’on en croit les propos du co-fondateur, Robert Young, un Canadien anglophone, rapportés dans Libération de ce jour, il s’agit ni plus ni moins que de créer un « eBay de la propriété intellectuelle ». Mais comment donc ! Lulu.com, c’est surtout ni plus ni moins que de l’édition à compte d’auteur. De même qu’aux termes de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété intellectuelle, l’édition à compte d’auteur ne peut prétendre au statut de véritable édition, ce lulu.com est tout sauf un éditeur. D’ailleurs, les concepteurs ont la sage précaution de le préciser sur leur site. A la page « Profil de l’enterprise » (sic ! S’ils veulent conquérir la France, qu’ils prennent au moins l’élégance d’écrire en bon français…) on peut lire : « Pour être clair, lulu est une entreprise technologique, pas un éditeur ». Le phénomène de l’auto édition n’est pas nouveau. Des entreprises ont prospéré sur ce créneau, dont la fameuse Pensée Universelle. Lulu.com ne fait qu’habiller cette vieille lune d’une parure technologique dernier cri. Désormais, tout se passe sur Internet. L’auteur auto-édité y va quand même de sa dîme pour être « publié » (lulu.com n’est pas une « enterprise » philanthropique…), mais c’est sûr que la douloureuse est moins douloureuse qu’à la Pensée Universelle. Pour le reste, c’est aussi navrant : Du moment que vous payez, tout est publié. Aucun travail de tri, de sélection, de validation des textes, voire de correction sur le fond ou la forme. « Personne ne vous demandera jamais de changer quoi que ce soit à votre texte », lit-on encore dans ce fameux « Profil de l’enterprise ». C’est démagogique en diable. Et désastreux sur le plan intellectuel. Mais, comme le soulignait le journal anglais The Guardian (dans son édition du 16 février dernier), le monde est plein « d’écrivains frustrés, incapables d’intéresser un agent, et encore moins un éditeur ». Lulu.com, c’est du commerce de frustrés. Faut-il le rappeler, un éditeur, ce n’est pas seulement quelqu’un qui publie des textes, c’est quelqu’un qui les choisit, et qui, par son choix, valide leur pertinence. Evidemment, tous ne le font pas avec le même sérieux, et on voit trop paraître dans de grandes maisons des ouvrages qui n’ont d’autre raison d’exister que par les relations de leur auteur, ou leur supposé poids médiatique. Mais tout ça, c’est de l’écume. Au regard des milliers de livres publiés chaque année, l’édition n’a encore jamais démérité du magistère intellectuel qui est le sien. La « marque » de l’éditeur, ce n’est pas seulement une raison commerciale, c’est d’abord un label — il y en a beaucoup d’excellents, une écrasante majorité de très bons, et quelques rares contestables, comme celui qui publia Thierry Meyssan). A trop vouloir faire croire que les nouvelles technologies permettent à tout un chacun d’accéder lui aussi à une publication, on ne fait qu’augmenter le « bruit » déjà assourdissant qui pollue Internet. A ce train-là, il n’y aura bientôt plus de pensée du tout, et encore moins universelle. C’est la confusion, en revanche, qui menace de devenir universelle. Façon de dire qu’on aura plus que jamais besoin des éditeurs — des vrais. Au fond, c’est donc plutôt une bonne nouvelle. Merci lulu.
15.10 2013

Les dernières
actualités