« Mon vieil Homère, comment vont tes yeux ? ». C’est le scoop littéraire de la semaine pour le Nouvel Observateur (n° du 6-12 septembre 2007) : Claudel tutoie Homère : « Je t’ai quitté l’autre jour, au détour d’un vers que le vent chaud a emporté comme une poussière ocre, etc. ». Les vers que vent emporte, le vent chaud, la poussière ocre… Ce Claudel-là, c’est Philippe. Car, entre nous, Paul Claudel – qui voussoyait Dieu et la littérature – n’aurait pas écrit cette phrase, question d’adjectifs, de vers blanc et de métaphore si mal filée qu’elle saute une maille. Je sais que ce n’est pas gentil d’écrire ces choses. M’enfin, comme disait Gaston Lagaffe, Philippe Claudel n’avait qu’à refuser la proposition du Nouvel Observateur , qui consacre quatre pages d’ouverture de sa rubrique « livres » à six « lettres d’admiration » écrites « en recommandé » par des « romanciers de la rentrée » à leurs « auteurs de chevet ». C’est toujours dangereux d’écrire à Homère comme si c’était un bon vieux grand oncle. Chacun gère sa place comme il le veut : ces six lettres représentent tout de même pas mal de surface imprimée pour peu d’information, en un temps où l’on croule sous les livres et où l’on répète aux éditeurs, attaché(e) s de presse et auteurs qu’il n’y a pas de place pour parler de tous ces livres… Certes, la rédaction offre un vague prétexte : la Lettre à Jimmy qu’Alain Mabanckou adresse à James Baldwin (Fayard). Faites comme Mabanckou, a-t-il été demandé aux six « romanciers de la rentrée » (rendez-vous compte, on passe sa vie à écrire et on devient « romancier de la rentrée », pas plus). Problème : la lettre de Mabanckou est un livre de 188 pages. Les six romanciers de rentrée disposent, eux, de fort peu de lignes. Il faut, en plus, laisser de la place aux photos (celle du grand écrivain, et, sous forme de timbre poste celle du romancier de rentrée). Du coup, les seuls qui n’ont pas de photo sont… Mabanckou et Baldwin ! Un lecteur sur deux ne s’aperçoit même pas que le Nouvel Observateur a traité de la Lettre à Jimmy, seule nouveauté de ces quatre pages où nous apprenons également que Charles Dantzig, tutoie. Et pas n’importe qui : Stendhal. Les autres romanciers de rentrée, tutoyeurs ou non, sont plus circonspects (Del Castillo et Dostoïevski ; Lydie Salvayre et Rabelais, Eric Neuhoff et Salinger ; Pierre Assouline et Simenon) – rien de significatif n’est toutefois possible dans de telles conditions. Déjà, dans son numéro de jeudi dernier, Le Figaro littéraire consacrait une immense double page aux lectures favorites des joueurs du XV de France, transformés pour l’occasion en chroniqueurs littéraires. Enquête faite, ce n’est pas pour cela qu’ils ont perdu leur premier match, mais parce qu’on leur aurait lu la lettre de Guy Môquet. On a eu chaud. Imaginez qu’on ait mis en cause leur entrée en littérature, les suppléments littéraires auraient disparu pendant la Coupe du Monde. Suppressions ou compressions que les rédactions envisagent prioritairement, en général, lorsqu’ils se passe quelque chose d’ « important ». Alors ce coup des rugbymen, c’était vraiment, de la part des littéraires, donner un ballon pour se faire battre. Il me vient d’ailleurs une idée neuve qui révolutionnera les réunions de chefs cadors. Si on demandait aux journalistes et critiques littéraires de parler de leurs lectures et des livres qu’ils reçoivent ? Ce serait un appel de Une formidable : « Exclusif : la Rentrée 2007 jugée par nos critiq ues ». Ça ne s’est quasiment jamais vu depuis des lustres. On sait tout des trouvailles de Fanny Ardant, de Sébastien Chabal et, peut-être même, de Laure Manaudou, mais on sait de moins en moins ce que lisent vos journalistes préférés puisqu’ils n’ont jamais de place pour parler des livres. Ils vous le diront : plus de place, rien, overbookés, contraints de reprendre des RTT (c’est incroyable comme il en reste des RTT dans la critique littéraire, alors même qu’il n’y a jamais de place pour les livres). Evidemment, certains, pour masquer leur blessure et leur conscience malheureuse, affirment qu’il ne se publie de toute façon plus rien de bon, mais rien vraiment rien. Sauf les romans anglo-saxons achetés via les agents et prémoulinés par les confrères du Times Litterary Supplement ou de la New York Review of Books . Et c’est pour ça qu’ils sont obligés de faire lire les livres par d’autres. Mieux vaut que Fanny Ardant, Sébastien Chabal et peut-être même Laure Manaudou aillent au casse pipe. Les critiques consacrent leur RTT à peaufiner un… roman de rentrée. Ce qui leur donnera le droit, en plus, de tutoyer Homère.

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