avant-portrait > Eduardo Berti

Il revient d’entre les morts et commande un café. Dans cette brasserie du centre de Bordeaux, qui fut longtemps le siège des grandes campagnes de Jacques Chaban-Delmas, Eduardo Berti est comme chez lui : il y attend son fils, il écrit, il répond aux questions avec la courtoisie et l’ironie tendre propre aux Argentins qui se savent à la fois italiens, anglais, juifs et basques. Il y est d’autant plus chez lui qu’il est de retour de la plus étrangère des terres. Non un pays ni une langue puisque, de son propre aveu, "il ne se sent le représentant d’aucun ni d’aucune", mais du service des soins palliatifs du CHU de Rouen.

Contre-pieds

Une résidence d’écriture il y a trois ans l’a laissé là ("j’avais accepté parce que Rouen, c’était Flaubert…"). Il pensait en faire une nouvelle, le voilà avec un livre, grave et allègre à la fois, Une présence idéale, son premier écrit en français. Un pas de côté de plus dans l’œuvre de cet auteur qui, en bon lecteur de Borges et de Cortázar, premier écrivain argentin admis à l’Oulipo, n’aime rien tant que les contre-pieds et les chemins de traverse.

Cette fois-ci, il s’est fondu dans un paysage qui est moins celui des malades que de ceux qui se doivent d’inventer au jour le jour leur accompagnement : les aides-soignants, infirmières, médecins, internes ou brancardiers, sans compter une esthéticienne ou une lectrice bénévole. Il le fait en leur cédant la parole tout en la réorchestrant au bénéfice d’une véritable proposition littéraire.

Enfant de Buenos Aires et du Río de la Plata, Eduardo Berti est le fils unique de son père, un réfugié roumain qui semble avoir avec l’exil des rapports assez cordiaux, et de la dictature, parvenue au pouvoir à l’heure - l’adolescence - où lui-même s’autorise à penser. Auparavant, il y avait eu les livres découverts chez ses deux tantes, professeures de littérature, Kafka, Tchekhov, Maupassant, Quiroga, et une anthologie de nouvelles fantastiques dont on ne jurerait pas qu’il en ait abandonné la lecture. Sinon, le goût du sport comme une scène initiale, les héros de l’enfance, Fangio, Fittipaldi, les footballeurs et aussi celui du mythe, le tango par exemple. "Le tango a eu le courage de parler argentin avant la littérature", dit-il.

Il y aura ensuite, et en vrac, les cours de Ricardo Piglia à la fac, la cinéphilie, l’entrée en journalisme, les premiers livres et toujours les désirs d’ailleurs. Ce sera la France, dès 1998, Paris pendant une dizaine d’années, à l’heure où, grâce à Hector Bianciotti et Ariane Fasquelle, ses livres seront traduits, chez Grasset d’abord, plus tard chez Actes Sud, avant un retour au pays, puis Madrid et enfin Bordeaux, cette ville d’"horizons chimériques" qui semble faite pour lui et où, au fond des cafés, il regarde passer le temps et venir vers lui son fils.

Olivier Mony

 

Eduardo Berti, Une présence idéale, Flammarion. 15 €, 120 p. Sortie : 29 mars. ISBN : 978-2-08-140476-2

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