Avant-portrait > Julien Péluchon

A déambuler avec Julien Péluchon dans les rues de Nantes, où ce Brestois d’origine s’est installé, après une enfance au Cameroun, un détour par Madrid et, intercalée, une jeunesse à Val-de-Reuil, près de Rouen, ville nouvelle "parfait décor pour Aurélien Bellanger", rien ne transparaît de son imagination loufoque, foisonnante d’intrigues post-apocalyptiques. Le quasi-quadra aux allures d’étudiant, timide, voire bourru, parle d’une voix calme en roulant une cigarette après son café. Pop et Kok (Seuil, 2012), son deuxième roman, un "Bouvard et Pécuchet" SF dans une ère où règnent "les adorateurs de la Verge dorée", fut un bel exemple. Prends ma main Donald, son nouveau livre, reste dans cette veine.

Donald Leblond, ancien junkie devenu "cardinal", doit récupérer sur ordre du pape René une clé USB top secret. Il se rend à l’endroit où l’attendent deux clercs de L’Union Lagartiste Internationale (en référence à Charles Brunetière de Lagarte, abbé du XVIe siècle et découvreur des Troodons, ces dinosaures "qui n’apparaissent qu’à quelques humains élus par leurs soins"). Le couple de "prospecteurs évangéliques" se révèle être deux femmes lubriques qui violent le prélat (à demi, tant les scrupules de Donald cèdent rapidement devant sa libido). S’ensuit une baroque partie à trois. Les ébats à peine terminés, voilà les tentatrices muées en bêtes poilues, avec "vagina dentata" et le sexe du héros en charpie… Ainsi s’ouvre le roman.

Dans l’errance

Cette fiction où l’on retrouve le disciple de Deshi dans Kendokei (Seuil, 2015), déjà une histoire de secte chrétienne au Japon, tient de tribulations à la Swift sur fond de fanatisme religieux et de complotisme tous azimuts. Le sens de l’absurde est à la mesure de la folie des temps : "Je voulais parler de cette atmosphère délétère de manière légère."

A l’instar de son protagoniste, Julien Péluchon a longtemps été dans l’errance (le milieu alternatif New Age madrilène qu’il fréquenta nourrit son imaginaire), l’écriture ne lui est pas venue tout de suite. Ses études furent "un long bégaiement" : les mathématiques, la médecine, puis les Beaux-Arts, enfin les lettres modernes. C’est par les mots qu’il trouve sa voie (son salut ?) : Gide, Bukowski, Huysmans dont il dévore les livres ; il écrit ses premiers textes sur une Olivetti électrique. Après avoir entendu son professeur Alain Satgé à la radio, il dépose un manuscrit dans le casier de l’enseignant, qui le passe à son propre éditeur Olivier Rolin ; celui-ci publiera son premier livre Formications.

Julien Péluchon, au-delà de l’esthétique postmoderne, trahit un vrai goût pour la langue et le style - la forme. Comme si seule la forme pouvait sauver le fond. Le fond sans fond. La conscience désabusée du néant au départ : "Il y avait quelque beauté admirable en l’homme, écrivait-il déjà dès ses débuts, dans son entêtement à croire toujours, en dépit de l’expérience, en la possibilité d’un bonheur à deux." Sean J. Rose

Julien Péluchon, Prends ma main Donald, Seuil, "Fiction & Cie", Prix : 19 €, 272 p., Sortie : 5 avril, ISBN : 978-2-02-139090-2

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