Avant-portrait

Anastasia Colosimo est la fille d’une mère "russe à 100 %", mais qui a quitté son pays en 1972 pour les Etats-Unis, rêvant de retourner un jour chez elle, et a exigé que ses trois filles et son fils maîtrisent la langue de Pouchkine. La sœur de sa grand-mère était la première femme de Soljenitsyne. Son père, Jean-François, Marseillais d’origine calabraise, éditeur, essayiste, professeur de théologie orthodoxe, ancien président du CNL, est actuellement directeur général des éditions du Cerf. C’est une enfant du monde occidental, nourrie d’humanités classiques, mais plurielle, avec son grand-père juif, ses trois nationalités (russe, américaine, française) et toutes les langues qu’elle parle. Elle a même appris l’arabe, rêvant de partir en Syrie, "là où la langue est la plus pure, la plus proche de l’arabe littéraire". Raté. Mais, à Sciences po, c’est en anglais qu’elle dispense ses cours, aux étudiants de deuxième année et à des élèves étrangers.

Rattrapée par l’histoire

Elle enseigne la théologie politique, "une branche de la philosophie qui s’occupe de la sécularisation de l’héritage religieux, de savoir s’il a été liquidé par les idéologies ou non", et l’histoire du blasphème. C’est le sujet du mémoire qu’elle a soutenu en 2013 et de la thèse de doctorat qu’elle prépare. C’est aussi celui des Bûchers de la liberté, son premier livre, un essai en prise avec notre époque, sa "scène idéologique dans la plus grande confusion", sa profonde crise des valeurs : "Considère-t-on que la République française, ça signifie quelque chose, un modèle qui mérite d’être défendu, y compris les armes à la main ? Ou bien cède-t-on au communautarisme, en germe dès la loi Pleven de 1972, aggravé par le mouvement Touche pas à mon pote, puis par toutes les lois mémorielles ?" Un livre qu’elle souhaite de "clarification", mais aussi d’engagement. "La liberté, poursuit-elle, c’est de n’appartenir à aucun groupe. La liberté d’expression protège des personnes, pas des communautés, qui font les sociétés les plus racistes."

Elle se dit "rattrapée par l’Histoire". "Je faisais mes études sur le blasphème de façon théorique, et puis il y a eu l’attentat de Charlie Hebdo. Ça a tout déclenché. Nous ne sommes pas préparés à cette violence. Aux Etats-Unis, ils ont eu le 11-Septembre. Nous, on découvre des terroristes mondialisés, des espèces de Khmers rouges du XXIe siècle, entre la préhistoire et Google." Elle a conçu son livre dans l’urgence. Puis elle a démarché plusieurs éditeurs mais, raconte-t-elle, "dès mon premier rendez-vous, avec Manuel Carcassonne et Alice d’Andigné, j’ai signé chez Stock !".

Tête bien faite autant que bien pleine, Anastasia Colosimo aborde les sujets graves et complexes avec modestie et humour, tout en essayant de profiter des plaisirs de la vie, tel ce fromage de tête de chez Verot, qu’elle rapporte pour le dîner familial. "Un régal : vous en voulez ?" A 25 ans, l’âge des décimés du 13 novembre, elle appartient à une génération entrée en résistance. Comme elle mène aussi des études de droit et de criminologie, elle est en train de passer des concours administratifs pour entrer, peut-être, dans la police. "Mais j’aurais rêvé d’être soldat ", dit-elle.

Jean-Claude Perrier

Anastasia Colosimo, Les bûchers de la liberté, Stock, Prix : 18,50 euros, 200 p., Sortie le 6 janvier, ISBN : 978-2-234-08050-8

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